mardi 18 août 2009

Le sacre du design !


Le design est partout. Il semble aujourd’hui devenu incontournable et l’on ne conçoit plus désormais un écran plat ou un baladeur MP3 dont le design ne serait pas réussi. Il est des domaines où il a fait valoir ses droits depuis longtemps, on pense par exemple à l’automobile ou à l’ameublement. Dans le domaine de l’électronique grand public, les choses n’ont pas été aussi simples et l’on s’en est souvent méfié. Voici retracées, les grandes tendances marquantes de ces quarante dernières années et les dernières évolutions constatées…

Associé à un produit technologique, le design fascine mais agace parfois tout autant. Un beau téléviseur ou une belle chaîne hi-fi, c’est forcément suspect. L’esthétique ne serait donc là que pour cacher les failles ou permettre de rehausser le prix de l’appareil ? Pourtant, il est des secteurs où le design fait depuis longtemps partie intégrante de l’objet. Il en est indissociable et en constitue l’armature. On s’extasie devant les courbes d’une Ferrari sans mettre pour autant en doute sa vélocité et les performances de son moteur. Il faut s’y faire, les produits électroniques grand public ont besoin du design et les utilisateurs y sont de plus en plus sensibles. Il ne suffit pas qu’un produit soit performant, il doit pouvoir se montrer et celui qui le possède doit en retirer une certaine fierté. Dans le choix d’un écran plat, il a été récemment démontré que le design était l’un des critères déterminants et qu’il passe parfois même avant la qualité de l’image. Serions-nous tombés dans l’excès inverse ?

L’Italie ouvre la voie

En matière de design industriel, les italiens sont les grands précurseurs. Dans les années cinquante, les téléviseurs (on parle alors de postes de télévision) sont rigoureusement assujettis aux impératifs technologiques et cela se traduit dans les formes par un petit écran bombé, un gros tube cathodique et un coffrage massif et encombrant. Dans les années soixante, les petites tailles d’écrans TV apparaissent et on commence alors à entrevoir les choses différemment…

Juste après guerre (en 1945) Giuseppe Brion et l’ingénieur Pajetta fondent la société B.P.M qui produit alors des composants électriques et électroniques. Elle devient successivement Vega B.P Radio puis Radio Vega Television et finalement Brionvega dans les années soixante. C’est précisément à cette époque qu’elle se spécialise dans la fabrication de téléviseurs. Jusque là rien de particulièrement inhabituel. Oui mais voilà… Brionvega est la première société d’électronique à s’offrir les services de designers de renom, en l’occurrence, Marco Zanuso et l’allemand Richard Sapper mais aussi Rodolfo Bonetto, Franco Albini, Franca Helg et plus tard, Achille et Pier Giacomo Castiglioni… En 1964, juste dix ans après que la RAI (Radio Televisione Italiana) ait commencé à émettre sur tout le territoire italien, le duo Zanuso/Sapper conçoit le téléviseur Brionvega Algol qui devient un produit culte et fera l’objet de rééditions multiples (la dernière en date remontant à 2001). Couleur orange et écran légèrement relevé, cette télévision new look ne passe pas inaperçue ! Deux ans auparavant, Zanuso et Sapper avaient jeté les bases de leur travail avec le petit Doney (14 pouces), un téléviseur portable tout en rondeurs. Toujours en 1964, ils proposent la radio TS 502, un petit cube qui rompt totalement avec les canons esthétiques de l’époque. Le téléviseur Algol et la radio TS 502 sont mondialement remarqués et ils feront leur entrée au MOMA (Museum of Modern Art) de New York où ils sont toujours exposés. En 1969, Zanuso et Sapper dessineront le Cubic Black ST201, un téléviseur totalement cubique qui aura lui aussi les honneurs du MOMA. Mais après le rachat de Brionvega par Seleco au début des années 90, la réédition des classiques semble malheureusement avoir pris le pas sur l’innovation…


Le design scandinave sur un nuage

La créativité et la réussite du design italien appliqué aux produits électroniques grand public donnèrent des idées à d’autres sociétés et notamment aux danois de Bang & Olufsen qui revendiquent ouvertement l’héritage du Bauhaus (l’école allemande d’architecture et d’arts appliqués fondée en 1919 à Weimar par Walter Gropius et non le groupe New Wave gloth (contraction de glam et goth) des années 80 qui effectue actuellement son come-back). Le principe révolutionnaire énoncé par le Bauhaus c’est que l’art et l’architecture doivent savoir s’adapter et répondre aux nécessités du monde industriel moderne. Et l’une de ses idées maîtresses, c’est que la qualité d’une création dépend de l’harmonie réalisée entre l’esthétique et la technique.
Fondée en 1925 par les ingénieurs Peter Bang et Svend Olufsen, la société fabrique des radios, des gramophones, des amplificateurs, des haut-parleurs…

Tout en épures et en lignes stylisées, le design scandinave va trouver à s’exprimer dès la fin des années soixante avec les téléviseurs et chaînes hi-fi. En 1972, 7 produits Bang & Olufsen dessinés par Jacob Jensen sont exposés au MOMA de New York. Six ans plus tard (1978), une grande exposition BO a lieu au MOMA consacrant l’originalité et la beauté formelle des produits BO. La marque Bang & Olufsen est désormais devenue synonyme de design. Une réputation qui ne s’est jamais démentie et que les designers de la marque ont toujours à cœur de perpétuer… La démarche qui prévaut à la création d’un produit est pour le moins originale. L’endroit où sont discutées les idées est appelé Idealand. C’est le lieu de rencontre préalable des designers, concepteurs, ingénieurs et dirigeants de la marque. L’équipe de développement compte plus de 300 personnes mais seul un petit nombre d’entre elles sera impliqué dans la phase initiale du processus créatif baptisée « nuage ». Au sein de leur amas vaporeux ou plus prosaïquement sur leur nuage, les heureux élus travaillent alors à des sujets imposés, à des sujets alternatifs (contre-propositions émises par Idealand) et à des sujets libres (toutes les idées émises par Idealand et les designers). Le design est ainsi étroitement associé à la création du produit et il arrive que les designers et les personnes en charge du projet soient envoyés en « voyage de conceptualisation », un voyage d’études qui peut les conduire en différents endroits du monde afin de mieux prendre en compte les nouvelles technologies et s’inspirer des tendances existantes.

Depuis les années 90, l’anglais David Lewis est le designer le plus représentatif de BO. En 1992, il conçoit les enceintes Beolab 8000 en 1992 qui lui sont inspirées par un jeu d’orgues entrevu dans la vitrine d’un magasin d’antiquités, à Copenhague. On n’a jamais vu d’enceintes aussi fines et il aura fallu deux années aux ingénieurs de la marque pour les réaliser. En 1996, il dessine le Beosound 9000, une colonne intégrant six lecteurs CD. Plus proche de nous, il est à l’origine de l’enceinte Beolab 5 (2003) qui outre des basses puissantes, s’adapte à la configuration du lieu d’écoute. On lui doit également le BeoCenter 2 (2005), une chaîne CD/DVD avec un système d’ouverture latéral.
« Nos réunions hebdomadaires, durant lesquelles nous déballons nos idées pour les présenter aux autres sont aussi excitantes que des veillées de Noël », dit-il. David Lewis s’inspire aussi parfois de ses lectures et il rappelle que les premiers écrans TV suspendus au mur ont été imaginés par George Orwell ou Ray Bradbury. Il n’a qu’un regret pour BO, ne pas avoir conçu le Nano iPod. Mais il compte bien se rattraper avec un téléviseur sur lequel il travaille actuellement et qui sera spécialement pensé pour la génération des 25-30 ans.

BO a aujourd’hui trouvé quelques héritiers et il ne paraît pas abusif de dire que la marque allemande Loewe applique à sa manière les bases développées par BO. Des produits volontairement élitistes qui s’adressent à des esthètes ou à tous ceux qui ont cette prétention de l’être ou de le laisser paraître…


Le classicisme français toujours d’actualité

En matière de design, les industriels français se montrent des plus conformistes. Il faut attendre 1966 pour que le téléviseur portable Téléavia P111, dessiné par Roger Tallon (qui par la suite, réalisera entre autres, le design des trains Corail et du TGV) soit mis sur le marché. Il aura fallu vaincre les réticences de la direction et contre toute attente, c’est un véritable succès commercial.
En 1994, Thomson fait appel à Philippe Starck pour une tentative destinée aux deux autres marques du groupe, Saba et Telefunken. Les dirigeants de Thomson sont « courageux » mais nullement téméraires… Starck dessine en effet deux écrans portables 36 cm. Les risques sont donc ainsi limités et on met en avant le côté fun de l’expérience.

Pour Saba, c’est le Jim Nature, un petit téléviseur écolo qui semble sortir tout droit d’une scierie du Jura. Pour Telefunken, c’est le TV OZ, qui prend le contre-pied du premier modèle et s’affiche dans un bois précieux (placage en mahogany). Il cache ses haut-parleurs à l’arrière dans ce qui pourrait évoquer une mini piste de lancement pour skateboarders en mal d’acrobaties.

Thomson fît encore appel à Starck pour de petits objets (télécommandes, radios), histoire de se donner bonne conscience mais ne renouvela pas l’expérience TV. Ce manque d’audace n’est pas uniquement imputable à la marque mais aussi à l’ensemble de la distribution française qui semble avoir trop souvent peur de déconcerter une clientèle qu’ils jugent à leur image, frileuse et emmitouflée dans d’interminables cache-nez qui les délivrent du mal des visions originales !


Philips a rajeuni son image grâce au design

Le cas de Philips est exemplaire. Dans les années 80 et 90, sa notoriété n’était plus à faire mais face aux Sony et consorts, la marque souffrait d’une image un peu vieillotte. Il lui fallait réagir et la quête du design fût pour la vénérable dame d’Eindhoven, un véritable bain de jouvence. En 1991, Stefano Marzano (quand on parle design, aussitôt un italien apparaît…) eût pour mission de constituer un pôle de réflexion et de fédérer une équipe de designers qui serait capable en concertation avec les responsables techniques, de travailler sur les formes de toutes les gammes de produits.

Né en 1950, Stefano Marzano a une formation d’architecte (diplômé de l’Institut Polytechnique de Milan) et il a rejoint Philips en 1978 pour superviser le design des produits Data et Télécoms de la marque. Depuis qu’il est responsable du design pour l’ensemble des produits, le résultat ne s’est guère fait attendre et Philips est assurément aujourd’hui l’une des marques grand public dont les appareils sont, sur le plan du design, parmi les plus aboutis. Le constructeur pousse les choses très loin et l’on peut par exemple considérer que l’Ambilight (un éclairage d’ambiance qui diffuse une lumière sur les côtés de l’écran) est tout à la fois une innovation technologique et un élément esthétique à part entière. Les frontières s’estompent et c’est là une brillante démonstration de design intégré. Cette même réflexion peut être faite au sujet de la petite chaîne WACS 300 qui joue sur la compacité, la fluidité des formes et profite des avantages de la technologie Wi-Fi .





Quand le Vintage Design prône le retour aux sources

La mode a donné le ton et si les fashion victims se disputent la veste de survêt du Coq sportif ou la réédition des chaussures Adidas de l’année de leur naissance, certains utilisateurs flashent sur les designs très datés d’appareils. Il peut s’agir de simples considérations esthétiques mais elles sont parfois appuyées par des impératifs techniques. C’est ainsi le cas pour les amplis à tubes qui se heurtent violemment à ce que les gourous américains du marketing ont dénommé le WAF (Woman Acceptance Factor). Pour l’amateur averti, l’ampli à tubes est non seulement performant mais en plus, il est nimbé d’une aura particulière et d’un pouvoir de séduction auquel la compagne de l’audiophile est généralement insensible. Elle assimile les tubes à des éprouvettes et ne veut pas transformer son salon en une annexe de laboratoire pour acousticien chimiste ésotérique. Il n’en demeure pas moins que les amplis à tubes font de la résistance et qu’ils on toujours leurs adeptes. Dans un registre assez voisin mais plus décoratif, on peut également mentionner ces radios FM qui reprennent le look des postes transistors en bakélite. Dans cet esprit revival, la société Audione propose ainsi des radios à tubes qui donnent envie de danser le fox-trot ou d’écouter l’appel du 18 juin…

Tivoli Audio joue un peu sur le même registre. Cette société a été fondée à Boston en l’an 2000 par Tom DeVesto et le mythique Henry Kloss (décédé en 2002) notamment à l’origine du KLH Model Eleven, qui fût la première radio stéréo compacte et portable, au monde. Avec le Model One, sorti en 2000, Henry Kloss considérait que : « cette radio était le fruit de 40 années de recherches… ». Et il ajoutait : « Bien que ma nouvelle radio n’ait pas été délibérément conçue avec un look rétro, il me plait de penser qu’elle évoque l’époque où les appareils étaient conçus avec honnêteté, goût et efficacité ». Bien qu’il s’en défendit, la Tivoli One cultive bien évidemment un design rétro qui fait son charme mais qui est idéalement associé à une restitution sonore de grande qualité. Toute une gamme est désormais disponible avec le model Two (stéréo), le model Three (radio-réveil), le Radio Combo (avec CD intégré) avec subwoofer…

Ouvrons une petite parenthèse car si la haute fidélité dite ésotérique reste fidèle à des esthétiques que certains jugeront un peu dépassées, elle est aussi capable d’innover et de surprendre. Certains lecteurs CD hauts de gamme ressemblent parfois à des vaisseaux spatiaux qui semblent tout droits sortis de la Guerre des Etoiles (le Eidos Reference de la marque suisse Goldmund en est un bon exemple). Quant à l’enceinte Nautilus de BW (55 000 € la paire), on a l’impression que ses concepteurs ont arraché une aile de la Batmobile pour la fabriquer… De l’esthétique rétro au décor de science-fiction, il n’y a parfois qu’un pas !


Quand l’Asie du sud-est s’éveille…

Le Japon a parfois fait des tentatives de design intéressantes. Mais elles sont souvent liées à la nature même du produit. On peut prendre pour exemple le Handycam Sony qui révolutionna la vidéo portable au milieu des années 80 et dix ans plus tard, le premier caméscope à design vertical conçu par JVC pour le lancement du format numérique Mini-DV. Plus près de nous, on peut citer le vidéoprojecteur AN 110 (sorti en 2005) du coréen LG, qui se fixe au mur. Dans ces cas précis, c’est la nouvelle valeur d’usage qui détermine la forme et l’apparence de l’appareil.

Les téléviseurs, les lecteurs/enregistreurs DVD ou les chaînes hi-fi sont des produits de masse et ils doivent adopter un dénominateur commun, un style assez neutre, sorte de passeport international grâce auquel ils pourront se vendre aussi bien à Berlin, Londres, Rome, New York ou Paris… Les audaces sont par conséquent limitées. Dans les années 90, les designers japonais succombèrent au bio design (venu du monde automobile) et les formes des téléviseurs prirent un peu de galbe et s’arrondirent. La mode était à l’encadrement métal. Puis, sous l’impulsion de quelques marques (Pioneer en tête), on est aujourd’hui passé au cadre noir, jugé plus reposant pour les yeux et surtout plus valorisant pour l’image. Fait notable, certaines marques osent enfin la couleur. C’est notamment le cas de Sony dont quelques téléviseurs au design dit flottant de la série X sont disponibles en bleu et en rouge. Notons au passage que c’est aussi le cas des téléviseurs Loewe 40 et 46 Compose qui se déclinent en noir ou argent mais dont les faces latérales peuvent être pourvues de 7 décors aux coloris variés. Les produits bruns perdront-ils un jour leur sinistre appellation ? C’est encore un peu tôt pour le dire…
Dans ce concert général de virtuoses anonymes, un designer émerge de la fosse d’orchestre pour faire entendre une petite musique assez singulière.

Né en 1942 et diplômé de l’Industrial Design College d’Osaka, Toshiyuki Kita est passé par l’Italie (son cabinet de design est basé à Osaka et à Milan) où il a dessiné du mobilier (notamment pour Cinna). Il s’inspire aussi de la tradition japonaise pour des réalisations artisanales de lampes, de bols ou de services de thé… Certains de ses créations sont exposées au MOMA de New York mais sont aussi visibles dans les collections permanentes du musée d’art moderne de Saint Etienne. A la fin des années 90, ce designer très polyvalent est contacté par Sharp qui lance ses premiers écrans LCD. Il les dote d’une assise inspirée, dira-t-il, par les pieds de pingouin et certains modèles s’ornent de haut-parleurs protubérants. On ne pouvait imaginer une meilleure lettre d’introduction et le design Kita a largement contribué à populariser les TV LCD Sharp. Après quelques années de collaboration, la marque revient cependant à un design plus classique et Kita exprime désormais sa vison poétique du monde avec les nouvelles enceintes Yamaha Soavo mais aussi à travers le petit robot Wakamaru tout de jaune vêtu (développé par Mitsubishi) et qui embarque un dictionnaire de 10 000 mots. Une évolution somme toute logique pour ce designer inspiré qui dit rechercher l’âme des objets qu’il crée.

Après le bio design, on est aujourd’hui passé au design en V assez brillamment illustré par les téléviseurs du fabricant coréen Samsung (mais aussi soit dit en passant par les nouvelles enceintes Chorus V du fabricant français JMLab). La nouvelle ligne TV Sharp s’inspire aussi de ce design en V mais avec des formes moins tranchées et plus ondulantes. Les tendances dominantes sont plus librement interprétées que par le passé et il semble dorénavant que les marques aient moins peur de se démarquer des critères esthétiques classiques (dans des limites cependant admises). On peut toutefois déplorer un effet d’imitation et le meilleur exemple nous en est donné par tous les clones de l’iPod dont les concepteurs peu imaginatifs croient surfer sur le succès en empruntant la vague du champion. Il ne suffit pourtant pas de suivre ou de copier. Pour qu’un produit soit remarqué, il doit imposer sa différence et le design, le vrai, celui qui crée, innove et tranche avec les courants majoritaires est plus que jamais un élément déterminant. Gageons qu’il nous réserve encore de belles surprises…


M.G

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